Déclaration de politique générale du Premier Ministre devant le Sénat le 4 juillet 2012

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous saluer. Ce moment est assez impressionnant pour moi, puisque c’est la première fois que je m’exprime devant la Haute Assemblée. Si j’ai décidé de venir devant vous aujourd’hui, au lendemain du vote de confiance de l’Assemblée nationale, c’est d’abord pour marquer le respect de mon gouvernement envers le Sénat et tous ses membres, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition.

Hier, par la voix du ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, je vous ai dit ce que seront les grandes orientations de mon gouvernement. Je vous ai exposé mes priorités, les principes qui guideront notre action, sans rien cacher des difficultés que nous aurons à affronter. Je vous ai tenu un langage de vérité, mais je veux en même temps combattre l’esprit de résignation et appeler à la mobilisation de toutes les forces de la France. Je suis convaincu que le Sénat est prêt à prendre toute sa part dans le redressement de notre pays.

En portant François Hollande à la présidence de la République, puis en donnant à mon gouvernement les moyens d’agir, grâce à une large majorité à l’Assemblée nationale, les Français ont fait le choix du changement. Je n’oublie pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que les prémices de ce changement sont venues du Sénat, en septembre 2011. Avec tout le respect que je dois aux autres sénateurs, permettez-moi de me féliciter de l’arrivée, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, d’une majorité de gauche au sein de votre assemblée.

Monsieur le président, je voudrais ici vous saluer tout particulièrement, vous qui avez su conduire la transition dans le respect des traditions de la Haute Assemblée, tout en donnant l’image d’un Sénat modernisé et renouvelé. Vous avez dit que le Sénat de la République continue d’exister et de travailler, au-delà des effets de mode : cela me convient tout à fait. Une majorité de gauche à l’Assemblée nationale et au Sénat constitue une situation inédite. Surtout, elle donne à mon gouvernement une responsabilité particulière, en rendant possibles des réformes cohérentes et ambitieuses, que les Français attendent. Elle permettra, j’en suis sûr, d’améliorer la qualité du travail parlementaire entre les deux assemblées et de trouver des solutions dans le cadre des commissions mixtes paritaires, par la recherche d’un rapprochement des points de vue des députés et des sénateurs, sans forcément aller vers la domination des uns ou des autres. Un seul objectif doit guider notre action : soumettre au vote des parlementaires des lois plus efficaces, plus applicables, plus compréhensibles, et donc plus utiles aux Françaises et aux Français.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis, comme vous, attaché au bicamérisme. Que vous apparteniez à la majorité ou à l’opposition, votre expérience et votre expertise nous aideront à produire des textes de qualité, c’est-à-dire utiles et applicables. Les travaux et les contributions du Sénat, qui, d’ailleurs, rejoignent très souvent les priorités du Gouvernement, doivent être pour notre action une source d’inspiration constante. Je m’engage ici, aujourd’hui, à associer les représentants du Parlement le plus en amont possible pour préparer les grandes décisions du Gouvernement. C’est à mon avis la bonne manière de procéder pour renforcer le rôle et les droits du Parlement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a fixé le cap, avec ses engagements de la campagne pour l’élection présidentielle : le redressement de notre pays dans la justice. C’est la feuille de route du Gouvernement. Avec vous, nous relèverons ce défi et nous redonnerons à des millions de Françaises et de Français des raisons de croire à nouveau dans l’action publique.

La situation de notre économie, vous la connaissez très bien. Elle oblige mon gouvernement à agir sans tarder : agir d’abord contre le chômage, qui touche aujourd’hui près de 3 millions de personnes dans notre pays ; agir contre la désindustrialisation et le recul de notre compétitivité, qui se traduisent par un déficit commercial record et la multiplication, ces dernières semaines, de plans sociaux parfois très importants ; agir aussi contre l’augmentation massive de la dette publique, dont le poids est aujourd’hui écrasant et qui absorbe une grande partie de la richesse produite par notre pays. Je l’ai rappelé hier, mais je le redis devant vous aujourd’hui : depuis 2007, la dette de la France a augmenté de 600 milliards d’euros. C’est une somme très importante. Et les intérêts de la dette représentent 50 milliards d’euros par an, soit plus que le budget de l’éducation nationale. Je refuse de reporter un tel fardeau sur les générations futures ! C’est une responsabilité collective non seulement du Gouvernement, mais de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont une responsabilité devant les Français. Et les parlementaires, députés et sénateurs, en ont une particulière puisqu’ils sont une partie de la souveraineté nationale.

Évidemment, je ne sous-estime pas l’impact de la crise financière mondiale, qui affecte fortement et durablement l’ensemble des pays occidentaux. Je sais que tous les gouvernements, quelles que soient les majorités en place, sont confrontés à de très dures réalités, et notamment ceux des pays de la zone euro. Mais je crois aussi que la situation économique dont nous héritons est le produit de choix et d’erreurs passés, de choix souvent injustes et inefficaces qu’il nous appartient de corriger.

Avec le Président de la République, nous avons proposé un autre chemin aux Françaises et aux Français. Et les Français nous ont accordé leur confiance. Les engagements que nous avons pris devant eux seront tenus. Le Président de la République avait dénoncé, pendant sa campagne, la généralisation de l’austérité en Europe. Il avait annoncé son intention de mobiliser les dirigeants européens en faveur de la croissance. Je le redis ici devant la Haute Assemblée, le vote des Français à l’élection présidentielle, conforté par le vote aux élections législatives, a fait bouger les lignes en Europe,et le Conseil européen des 28 et 29 juin a adopté un pacte de croissance.

Certains trouvent que, 120 milliards d’euros, ce n’est pas beaucoup ! Mais c’est beaucoup ! Surtout, c’est un levier de mobilisation pour tous ceux qui ont des projets. Et la France en a ! En tout cas, c’est un succès pour la France et pour tous les Européens qui croient à l’avenir de notre projet commun. Personne n’est resté indifférent à ce qui s’est passé les 28 et 29 juin. Certains pensaient que le vote du peuple français ne servait à rien. Pour ma part, j’ai toujours dit que l’élection d’un nouveau président de la République non seulement ferait bouger les lignes, mais aussi créerait un nouvel horizon, un nouvel espoir en Europe. Eh bien nous y sommes, mesdames, messieurs les sénateurs !

C’est la raison pour laquelle je demanderai au Parlement de se prononcer sur l’ensemble des textes issus de cette renégociation européenne : le pacte de croissance, la taxe sur les transactions financières. Combien de vœux exprimés et de résolutions adoptées, qui n’ont jamais débouché sur rien ? Maintenant, c’est décidé, nous allons le faire ! La taxe sur les transactions financières sera créée si le Parlement, Assemblée nationale et Sénat, le décide. C’est donc sur cet ensemble, la supervision bancaire, le rôle que jouera désormais la Banque centrale européenne avec le mécanisme européen de stabilité et le traité de stabilité budgétaire, que vous serez amenés à vous prononcer. Oui, je vous appellerai à approuver cette nouvelle étape de la construction européenne, celle de l’intégration solidaire.

 Je le répète – je l’ai dit hier devant l’Assemblée nationale, mais c’est un engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne –, la mission du Gouvernement, c’est de maîtriser les dépenses publiques. Il ne s’agit pas de feindre ici que nous aurions découvert une situation que nous connaissions malheureusement trop bien. Le projet de loi de finances rectificative qui a été adopté ce matin en conseil des ministres et qui sera prochainement soumis à votre délibération, après son examen par les commissions des finances des deux assemblées, permettra de tenir un engagement pris par le Président de la République au cours de la campagne électorale, à savoir une réduction du déficit public, dès 2012, à 4,5 % de la richesse nationale. Et, conformément à nos engagements, nous reviendrons à l’équilibre à la fin du quinquennat, c’est-à-dire à l’horizon 2017.

L’ambition de mon gouvernement – certains en seront peut-être étonnés, mais, en démocratie, c’est une évidence – est de gouverner dans la durée ; elle est surtout de réussir le changement en profondeur. Et sans maîtrise des comptes publics, il n’y a pas d’action possible dans la durée ! C’est pourquoi, contrairement à ce que j’ai lu ici ou là, nous ne sommes pas à un tournant ; nous sommes dans la cohérence des engagements pris devant le peuple français, et ces engagements seront respectés. Il n’y aura pas de renoncements !

La réforme fiscale est l’une des grandes priorités du Gouvernement. Ses objectifs sont clairs : mobiliser de nouvelles recettes, mettre à contribution ceux qui ont été exonérés jusqu’à présent de l’effort collectif tout en épargnant les classes moyennes et les classes populaires. Voilà le fil conducteur de l’action gouvernementale !

Le projet de loi de finances rectificative intègre ces priorités. Le Gouvernement propose de revenir sur l’allègement de l’impôt sur la fortune, qui concerne 1 % des contribuables. On dit que les ménages sont touchés, mais de quels ménages parle-t-on ? Ceux qui peuvent contribuer à l’effort national ! Enfin, contrairement à ce qui a été avancé, le bouclier fiscal n’a pas été supprimé ; il existe toujours. Il est proposé, dans le projet de loi de finances rectificative, de le supprimer définitivement et de mettre aussi à contribution, de façon exceptionnelle, les grandes entreprises bancaires et pétrolières. En revanche – et là sont la cohérence et la justice –, la hausse de la TVA, votée par certains d’entre vous et programmée pour le 1er octobre prochain, sera tout simplement abrogée, parce que c’était un prélèvement sur les classes moyennes et les classes populaires. Quant à la TVA sur le livre et sur le spectacle vivant, elle sera ramenée à 5,5 %.

Dans le cadre du projet de loi de finances initiale pour 2013, les revenus du capital seront imposés au même titre que ceux du travail. L’impôt sur le revenu sera rendu plus progressif et plus juste. Pour les plus riches, une tranche d’imposition à 45 % sera créée et, pour les revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros, une imposition supplémentaire à 75 % sera instaurée. En nous donnant une majorité, les Français ont fait le choix de la justice sociale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la méthode de mon gouvernement est connue : dire la vérité, dialoguer, négocier. C’est un engagement que je prends ici, au nom du Gouvernement. Le changement ne se décrète pas ; c’est un mouvement porté par tous les corps intermédiaires, les partenaires sociaux, les élus locaux, les associations. Je sais que, toutes tendances confondues, le Sénat est attaché à cette conception de la démocratie : une démocratie apaisée, où le pouvoir d’un seul ne saurait s’imposer à la délibération collective, où l’esprit systématique de division ne saurait l’emporter sur la recherche de la cohésion sociale et nationale. Oui, c’est vrai, j’appelle de mes vœux une évolution de nos pratiques. Je souhaite que la culture de l’accord s’impose peu à peu. Et mon gouvernement donnera toutes ses chances au dialogue social. Tel est d’ailleurs l’objet de la grande conférence sociale qui s’ouvrira dans quelques jours, laquelle illustrera ce changement de méthode.

Dans le même esprit, d’autres actions de concertation seront organisées sur les priorités du quinquennat. J’ouvrirai demain, avec le ministre de l’éducation nationale, une consultation sur « la refondation de l’école ». Priorité est donnée à la jeunesse. Nous ne pouvons pas accepter – et combien de missions parlementaires, notamment sénatoriales, l’ont mis en évidence – le maintien de l’échec scolaire à un tel niveau dans notre pays ni le creusement des inégalités sociales et territoriales. Aussi, nous assumons pleinement le choix qui a été annoncé par le Président de la République de créer au cours de ce quinquennat 60 000 postes supplémentaires pour que l’école bénéficie enfin d’un soutien massif.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l’UMP.) La stratégie que nous mettons en œuvre a pour but de redresser notre système éducatif afin de lui redonner toute sa force, toute sa puissance, et, disant cela, je pense en particulier à notre école, l’école de la République, celle qui forme les futurs citoyens.

Le Gouvernement concentrera son action sur l’enseignement primaire. C’est en début de cycle que se joue l’avenir des enfants, et vous le savez ! Le Gouvernement concentrera donc son attention sur l’enseignement primaire et les premiers cycles universitaires, où l’on compte trop d’échecs. Un nouvel élan sera donné également à l’éducation prioritaire, là où les besoins sont les plus importants. Nous ne pouvons nous résigner à cet incroyable niveau de chômage chez les jeunes dans un pays tel que la France. C’est un combat que nous voulons mener.

L’emploi des jeunes appelle des mesures urgentes. C’est le sens du contrat de génération, qui sera examiné lors de la conférence sociale. Ce contrat permettra, d’une part, le maintien dans l’emploi d’un senior – actuellement, on jette après cinquante ans ceux qui sont prétendument inutiles à la société, alors qu’ils ont tant à donner du fait de leur expérience – et, d’autre part, l’embauche d’un jeune en contrat à durée indéterminée, alors qu’un tel contrat est aujourd’hui difficile à obtenir, même avec un diplôme de haut niveau. Parmi les mesures d’urgence, signalons la création de 150 000 emplois d’avenir destinés à permettre l’insertion professionnelle des jeunes en particulier là où le taux de chômage est le plus élevé dans nos quartiers et dans nos zones rurales. Quant à l’accès au logement, il sera facilité par la caution solidaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il est un autre grand chantier auquel je vous sais attachés : celui du redressement productif. Nous ne pouvons pas accepter le décrochage de l’industrie française – et je sais que je parle ici à des hommes et des femmes convaincus, de bonne foi, qui l’ont souvent souligné sur une grande partie des travées de cette assemblée –, la baisse continue de notre compétitivité, les difficultés de nos PME. Vous qui êtes les élus des territoires de toute la France, en contact avec les élus locaux, qui sont vos électeurs, vous savez bien que c’est une réalité et qu’il faut aussi aider nos PME, en particulier pour accéder au financement. Le chantier du redressement productif est immense : la part de l’industrie dans la production nationale est passée de 26 % à 13 % en dix ans,…et 750 000 emplois ont été détruits. Croyez-vous que cela soit le résultat de telle ou telle décision ? Non, je pense que la crise est profonde et structurelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut mettre enfin la finance au service de l’économie réelle, en mobilisant une partie de l’épargne populaire et en créant la banque publique d’investissement qui sera opérationnelle avant la fin de l’année. Dans tous les secteurs de l’économie, dans l’industrie comme dans l’agriculture, nous viserons l’amélioration de la qualité des produits, car nous devons renforcer notre compétitivité structurelle. Nous mettrons en place une véritable diplomatie économique – ce sujet ayant été évoqué hier, ici par la voix de M. le ministre des affaires étrangères, je n’y reviendrai que brièvement –, de manière à regagner des parts de marché et à développer nos capacités de production nationale, en nous protégeant de pratiques commerciales déloyales. C’est l’une d’entre vous, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, qui, avec le ministre des affaires étrangères, mènera à bien ce combat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’y a pas de fatalité au creusement de notre déficit commercial et aux plans de licenciements. C’est le sens du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi que je vous propose. La transition écologique et énergétique est aussi l’une de nos priorités. Elle est au cœur du projet gouvernemental. L’objectif de mon gouvernement est de développer une économie verte, fondée sur l’innovation technologique, qui sera créatrice d’emplois qualifiés et diminuera notre empreinte écologique. Nous engagerons un programme massif d’économies d’énergie qui nous permettra de mettre en œuvre un plan ambitieux de développement des énergies renouvelables. La part du nucléaire passera, dans le mix énergétique que nous voulons réaliser, de 75 % à 50 % à l’horizon de 2025.  Quant à la solidarité et à la justice, le Gouvernement travaille pour mettre rapidement en place une tarification progressive du gaz et de l’électricité, qui ne peuvent être livrés à la seule loi du marché, avec un forfait de base. J’ai demandé au Gouvernement d’agir vite car, dans ce secteur, les inégalités sont criantes et deviennent insupportables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais terminer mon discours en adressant un message particulier au Sénat, dans son rôle constitutionnel de représentation des collectivités territoriales de la République. Je veux en effet vous parler aussi de nos territoires. Je m’adresse à toutes et à tous pour dire, comme je l’ai fait hier à l’Assemblée nationale, que je compte sur la mobilisation de tous les acteurs en faveur du redressement de notre pays. Ce redressement passe, vous le savez mieux que quiconque, par l’action des collectivités locales de la métropole et de l’outre-mer. L’investissement public qu’elles mobilisent et la vigueur de la démocratie locale sont des atouts essentiels. Je crois, moi aussi, à l’intelligence des territoires. Partout, les collectivités s’engagent pour soutenir des activités industrielles porteuses d’avenir : investissements dans le très haut débit, soutien aux PME innovantes et à des projets d’excellence dans le domaine du développement durable ; les exemples abondent partout en France, et c’est cela que je veux encourager. La banque publique d’investissement que je viens d’évoquer sera créée rapidement et elle travaillera au plus près des territoires ; sinon, cet outil serait centralisé et son efficacité ne serait pas celle que les Français attendent. C’est avec vous, avec l’ensemble des territoires, et d’abord des régions, que cette banque publique d’investissement soutiendra les projets de développement économique.

Pour répondre aux besoins en matière de logement, l’État mettra ses terrains vacants gratuitement à la disposition des collectivités locales – c’est un engagement auquel je tiens particulièrement, malgré tous les conservatismes existants, les bonnes raisons de ne rien faire –, afin de permettre la réalisation de programmes de construction et d’aménagement urbain respectueux de la mixité sociale. Il s’agira d’une démarche contractuelle : l’État met sur la table ce qu’il possède, et c’est ensuite aux collectivités locales d’agir. Je leur fais confiance ; je suis sûr qu’elles le feront ! Cela vaut aussi pour la construction de logements sociaux : 500 000 logements, dont 150 000 logements sociaux. De nombreuses collectivités prennent leur part pour atteindre les 20 %, mais il y a encore des résistances, toujours avec de « bonnes raisons », et, parfois, des tentations parlementaires pour limiter les obligations. C’est pourquoi le Gouvernement formulera des propositions pour imposer une sanction plus forte, multipliée par cinq, pour ceux qui ne respectent pas la loi, afin qu’ils s’y soumettent également !

Je veux bâtir avec les acteurs de la démocratie territoriale une relation de confiance, car je crois profondément dans l’alliance de l’État et des collectivités locales pour mettre en mouvement l’ensemble de la société. Les collectivités, de même que le Parlement, ne sont pas des faire-valoir. Le maire de Nantes que j’ai été jusqu’à la semaine dernière a trop souvent regretté le manque de considération de l’exécutif pour l’action des élus locaux. Ils sont des élus de proximité, dont la légitimité est entière et qui ont la confiance de leurs concitoyens. Ils connaissent mieux que quiconque les dégâts de la crise dans nos quartiers, dans nos cités comme dans les zones rurales ; ils savent l’impatience, l’exigence de justice et d’égalité. C’est avec eux que je veux réussir le redressement et le retour de la confiance dans le pays.

Voilà pourquoi je veux préparer, avec mon gouvernement, une nouvelle étape de la décentralisation et donner toute leur place aux libertés locales.

Je recevrai ce mois-ci toutes les associations d’élus et je poursuivrai les consultations à la rentrée. Je m’appuierai évidemment sur les conclusions des états généraux de la démocratie territoriale organisés sur votre initiative, monsieur le président du Sénat. Ainsi, le Gouvernement disposera de nombreuses propositions, et un projet de loi sera déposé avant la fin de l’année devant les assemblées. Or, en vertu de la Constitution, tout projet de loi « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales » doit vous être soumis en premier lieu. Le Sénat sera donc porteur de la réforme territoriale. Les citoyens attendent de cette nouvelle étape de la décentralisation que l’État et les collectivités locales mènent une action plus lisible, plus efficace, mais aussi moins coûteuse, en tout cas qui préserve l’argent public pour que celui-ci soit efficacement utilisé au service de nos concitoyens. Nous proposerons la création du Haut Conseil des territoires, instance de concertation et de proposition qui permettra aux représentants des élus de se réunir et de débattre régulièrement avec les représentants de l’État, et qui s’appuiera évidemment sur le Sénat, comme l’actuel Président de la République l’avait précisément annoncé, lors de la campagne, dans son discours de Dijon, le 3 mars dernier. Quant au conseiller territorial, la loi qui l’a créé sera abrogée.

En conséquence, nous procéderons à la modification du mode d’élection des conseillers généraux, pour permettre une meilleure représentativité des assemblées départementales et davantage de parité. C’est la loi de la République ! Dans le respect du rôle de chaque assemblée, la modification du mode de scrutin et l’adoption du futur calendrier des élections cantonales et régionales sera élaboré de manière transparente, dans la concertation, contrairement aux habitudes

J’en viens aux structures intercommunales. Sans entrer dans le détail, je dirai qu’il existe une exigence citoyenne de légitimité démocratique. Mais, là encore, il faut accepter la diversité des territoires en France : il n’y a pas de modèle unique. Certaines associations, certains mouvements, des citoyens demandent l’introduction du suffrage direct pour les agglomérations les plus importantes. En tout cas, cette question est ouverte et sera inscrite à l’ordre du jour du débat que nous aurons avec vous, les associations d’élus et les citoyens. Quoi qu’il en soit, je m’engage à ce que le Parlement soit associé étroitement à la réflexion préalable à toutes les modifications importantes, notamment celle-ci.

Pour permettre aux parlementaires de se consacrer pleinement à l’exercice de leur mandat, et conformément aux engagements du Président de la République, il sera mis fin au cumul entre un mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales. Cette réforme sera applicable avant 2014. Rien ne justifie que les parlementaires ne suivent pas ce que le Gouvernement applique à tous ses membres : il n’y a plus de cumul entre un mandat exécutif local et l’exercice d’une fonction gouvernementale, contrairement à ce qui avait cours voilà encore quelques semaines !

Rassurez-vous : je me soucie là des conditions de travail des parlementaires, et dans un sens conforme à ce qu’attendent les Français. Le Gouvernement est prêt à faire en sorte de confier de nouvelles responsabilités aux élus des collectivités territoriales. C’est cela la décentralisation : de nouvelles compétences ou délégations, mais toujours avec le même souci de la transparence et de la justice. Avec le même souci de coordonner l’action des collectivités locales entre elles et avec l’État, sans doublon, sans dépense supplémentaire, et avec un seul objectif : l’efficacité de l’action publique. Je sais que c’est difficile, qu’il n’y a pas de recette miracle et toute faite émanant d’une initiative technocratique. La solution doit être démocratique. Nous sommes donc prêts à procéder aussi par expérimentation, pour ceux et celles qui le souhaiteront, pour éprouver une nouvelle compétence avant d’en prendre éventuellement la responsabilité. Nous pouvons tous citer des exemples. C’est vrai pour les compétences comme pour les délégations : combien ai-je entendu de protestations à propos de l’exercice de la délégation à la pierre ? Certains disaient qu’ils ne se saisiraient pas de cette compétence parce que c’était tel gouvernement qui en avait pris l’initiative. Eh bien, moi, je l’ai expérimentée. Et je vous dis que ça marche : pour la construction de logements sociaux supplémentaires, les résultats sont là ! Alors, n’ayons pas peur de l’innovation et du changement ! Mais, au préalable, expérimentons, testons, vérifions !

L’année 2013 sera donc celle de la concertation et de la discussion sur tous ces sujets.

Je sais que les collectivités territoriales et leurs élus sont prêts à prendre toute leur part à l’effort national de redressement des comptes publics : cela a été affirmé par les grandes associations d’élus, et encore rappelé ces derniers jours par la plus importante d’entre elles, l’Association des maires de France. En contrepartie, les collectivités locales bénéficieront d’une plus grande visibilité, gagneront en autonomie et en responsabilité. Tel est l’objet du pacte de confiance que je souhaite négocier et établir entre l’État et les collectivités locales pour inscrire durablement le rôle et l’effort de chacun. Il n’est pas possible d’avancer sans dire les choses clairement. S’agissant des concours financiers de l’État, j’affirme donc en toute clarté que, oui, ils seront maintenus en valeur pour la période 2013-2015, mais ils ne pourront pas être mis en œuvre sans une répartition plus juste, sans la péréquation !

Ce constat vaut également pour la fiscalité locale car, partout, l’objectif, c’est la justice. Sur toutes ces questions, rien n’est pire que d’annoncer sans cesse le Grand Soir de la décentralisation et de la réforme de l’État sans jamais rien faire, que ce soit par frilosité ou par conservatisme. Or je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre assemblée est prête à faire preuve d’audace et d’innovation, parce que vous sentez la France et que vous la connaissez.
Vous constatez bien que nous sommes à un tournant, face à une attente exceptionnelle du pays. Je sais que les collectivités territoriales sont également confrontées à des problèmes comme celui du financement. C’est vrai cette année ; c’était déjà vrai il y a quelque temps. Bien entendu, le Gouvernement suit cette question au jour le jour. La commission des finances du Sénat a examiné hier le dossier très difficile de Dexia. Pour faire face à cette situation, l’État a mis en place un dispositif exceptionnel, avec le déblocage d’une nouvelle enveloppe de financements au titre du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts. Le ministre de l’économie et des finances fera le point avec chacune des banques. Oui, les banques ! Car, jusqu’à présent, à l’exception de la Caisse des dépôts et de la Banque postale, peu d’entre elles veulent s’engager en faveur des collectivités locales. Pourquoi ? Est-ce acceptable ? Nous demandons à chacune d’elles de respecter son engagement de maintenir voire d’accroître son offre de crédit. Quant à la Banque postale, elle vient de lancer sa première offre de crédit à court terme, qui devrait compléter le partenariat avec la Caisse des dépôts, pour contribuer durablement au financement du secteur public local.

Je le souligne en cet instant, je tiens à ce que cette nouvelle étape de la décentralisation marque un progrès supplémentaire vers l’égalité entre les territoires, notamment dans l’accès aux services publics ; je pense en particulier à nos concitoyens des quartiers populaires et des zones rurales. Je le répète, nous sommes tous conscients de la nécessité de renforcer la péréquation entre collectivités. Ce n’est pas un exercice facile : de fait, il y a toujours une « bonne raison » de refuser d’accomplir un effort pour les autres. Mais, là aussi, il faut faire évoluer les esprits. Il s’agit de faire preuve de pédagogie, d’écoute, de persuasion, non d’imposer des dispositifs, mais de convaincre chacun que la justice est conforme à l’intérêt du pays, nécessaire à sa cohésion.

Aujourd’hui, une partie du peuple se sent abandonnée, notamment celle qui habite dans des cités, des banlieues ou des régions rurales très éloignées des centres urbains ou même dans ce que l’on appelle le « périurbain », souvent peu accessible parce que très mal desservi par des transports publics de mauvaise qualité. Alors, certains Français décrochent, pour lesquels les mots de liberté, d’égalité, de fraternité et de République ne peuvent plus rien vouloir dire ! C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je revendique avec vous, avec le Sénat, la belle idée de la République, mais à condition de la rendre concrète pour l’ensemble de nos concitoyens, et pas seulement pour une partie de la France !

Dans le même esprit, celui de l’égalité entre tous les territoires qui font la France, je salue particulièrement les sénateurs des outre-mer, où, je l’ai dit hier, l’État entend adopter de nouvelles orientations.

Enfin, je souhaite que la décentralisation et la réforme de l’État marchent au même rythme. De fait, je ne crois pas en un État qui s’occupe de tout, de tous les détails ou qui, affaibli, ne sait plus que produire des normes et des règlements supplémentaires pour prétendre affirmer son autorité. Moi, je veux un État stratège, garant de la cohérence des politiques publiques et de la solidarité entre les citoyens et les territoires. Restaurer la puissance publique, je viens de le souligner, c’est un impératif non seulement pour nos concitoyens mais aussi pour les fonctionnaires et les agents de toutes les fonctions publiques – de l’État, des hôpitaux et des collectivités territoriales. C’est un moyen de restaurer la confiance, si abîmée ces dernières années. Nous avons besoin d’une fonction publique considérée et respectée, et je l’affirme devant les sénateurs : j’ai confiance dans la qualité et l’engagement des fonctionnaires de la France.

Si l’État doit se réformer, se concentrer sur ses missions essentielles, et celles-ci sont nombreuses – je songe, bien sûr, à la justice, à la sécurité, mais aussi aux missions stratégiques, que l’État a tenu à assurer, même si ce fut au prix de son affaiblissement financier –, je souhaite que les services déconcentrés puissent être utiles à la mise en mouvement de toute la société : ils ne sont pas seulement là pour contrôler ; ils doivent également aider et accompagner. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, avec le ministre du redressement productif, nous sommes d’ores et déjà mobilisés face à la situation d’urgence que connaissent certains territoires.

Au passage, mesdames, messieurs les sénateurs, il me revient d’excuser, ainsi qu’ils me l’ont demandé, les membres du Gouvernement qui ne sont pas dans cet hémicycle parce qu’ils assistent en ce moment même aux obsèques d’Olivier Ferrand, jeune député décédé il y a quelques jours. Je suis certain que vous comprendrez leur absence.

Je tiens à illustrer notre méthode par un exemple. Avant même la mise en œuvre de la banque publique d’investissement, de nombreux plans sociaux se dessinent ; peut-être certains sont-ils déjà validés. Eh bien, plusieurs d’entre eux exigent un suivi et des décisions gérés à l’échelle nationale, compte tenu de leur importance et de leur gravité. Je songe aux dossiers de l’automobile et de l’agroalimentaire, notamment au groupe Doux et à plusieurs grandes entreprises. Mais il en est d’autres qu’on oublie ou qu’on connaît moins, qui concernent des petites et moyennes entreprises représentant, ici, cinquante emplois, là, cent, mais qui méritent tout autant d’attention ! C’est pourquoi des commissaires à la réindustrialisation ont été nommés auprès des préfets. J’ai demandé aux préfets de désigner des personnes compétentes, connaissant la réalité des entreprises, les questions économiques, sociales, financières, et sachant dialoguer avec les collectivités territoriales.

En outre, avant même que soit engagée la nouvelle étape de la décentralisation, j’ai souhaité que les collectivités territoriales concernées par tel ou tel sujet – notamment les régions, mais pas exclusivement – soient associées dès à présent au suivi et au traitement de ces dossiers difficiles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si je vous dis tout cela, c’est parce que j’ai confiance dans nos atouts. J’ai confiance dans la vitalité de nos territoires. J’ai confiance dans la capacité de notre peuple à se rassembler, à mobiliser ses talents et à repartir de l’avant.

Je sais que mon gouvernement pourra compter sur la représentation nationale pour soutenir les efforts que nous avons engagés, parce qu’ils sont marqués du sceau de la justice. Et c’est dans les valeurs de la République que, constamment, nous irons puiser notre énergie, car ces valeurs ont inspiré le rêve français, auquel nous voulons croire encore et toujours ! C’est l’espoir que nous voulons donner au peuple car, même si les temps sont difficiles, nous ne renonçons pas ! Voilà l’étape que nous souhaitons accomplir dès maintenant : franchir tous les obstacles pour réussir, avec vous, le redressement de la France.

Je vous remercie dès à présent de votre aide et de votre contribution à cette tâche.

(Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que la plupart de ceux du RDSE se lèvent et applaudissent longuement.)