Un temps de mémoire au Bois du Thouraud

Le Bois du Thouraud, situé sur la commune de Maisonnisses, accueille un monument en mémoire des jeunes maquisards qui furent tués et déportés en septembre 1943. Sept jeunes sont tombés, sept autres ont été déportés ainsi que deux paysans. Seuls trois en sont revenus. Chaque année, une cérémonie a lieu sur le site même du massacre des résistants, site qui a fait l’objet d’un aménagement paysager et d’une mise en valeur.

Serge MEAUME, Maire de Maisonnisses et président de l’association qui milite pour le respect de la mémoire des victimes, demande chaque année à un élu ou une personnalité de prononcer une allocution. Cette année, j’ai eu l’honneur d’être sollicitée, et suis ainsi la première femme à prononcer un discours depuis que cette cérémonie existe.

Voici le texte de mon discours.

Mesdames, Messieurs, chers enfants,

7 septembre 2012 – 7 septembre 1943, 69 ans séparent ces deux dates, presque 7 décennies, une période suffisamment longue pour que la douleur s’estompe, mais pas assez pour que l’oubli s’installe.
Et si nous sommes aujourd’hui aussi nombreux, devant cette stèle, c’est que nous refusons collectivement que l’oubli ne s’installe.
Se souvenir collectivement de ce massacre, c’est faire revivre ces jeunes héros qui, refusant d’obéir aveuglément à un gouvernement inique, se sont engagés dans la clandestinité pour défendre leur idéal de liberté, celle de leurs familles et de leurs compatriotes.
C’est se souvenir d’une époque, pas si lointaine, vécue par nos parents, qui a laissé une empreinte indélébile dans leur mémoire et dans la mémoire collective, mais que nous devons transmettre aux jeunes générations pour qu’ils la transmettent à leur tour.
Lorsque Serge MEAUME m’a proposé de dire l’allocution commémorative aujourd’hui, j’en ai ressenti beaucoup de fierté et aussi beaucoup de responsabilités.
Je fais partie de cette génération née après la guerre, dont les parents étaient trop jeunes pour être résistants, mais qui ont vécu cette époque avec intensité et de très près, de telle manière que mon enfance a été remplie de ces histoires de résistance, à tel point que j’ai parfois le sentiment de les avoir vécu moi-même.
C’est pourquoi je pense qu’il est important, pour s’approprier cette page d’histoire, de parler, de faire connaître ces épisodes héroïques, de rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui ont donné leur vie pour leur pays.
Leur rendre hommage, c’est redire leur histoire.

Nous sommes en 1943,
Le 16 février, Pierre Laval instaure le Service du travail obligatoire (STO). Les jeunes gens nés entre 1920 et 1922, sont obligés de partir travailler en Allemagne (ou en France au profit de l’Allemagne) à titre de substitut de service militaire. Le STO provoque l’entrée dans la clandestinité de près de 200 000 réfractaires, dont environ un quart gagnent les maquis en pleine formation.
C’est ainsi qu’à partir du début de l’été 1943, un groupe, composé de seize réfractaires au Service du travail obligatoire s’installe dans le bois du Thouraud, encouragés par le mouvement « ceux de la libération, vengeance ».
Placés sous l’autorité du colonel Leduc, ces jeunes maquisards, bénéficiant du soutien d’une partie de la population, notamment pour leur approvisionnement en nourriture, mènent des opérations de sabotage.
Le gouvernement LAVAL organise, ce que certains qualifient, à juste titre, « le pillage systématique de la France ». Le monde rural doit approvisionner l’Allemagne ; le fruit du travail des paysans est réquisitionné par les agents zélés de Vichy : bêtes, fourrage, blé, tout y passe…
Alors, Ces jeunes du bois du Thouraud, La « tribu des écureuils » comme ils se nomment, mènent des coups de main, principalement sur le matériel de battage, pour faire obstacle à l’ennemi et empêcher que le grain des récoltes ne soit livré aux Allemands.
C’est justement la destruction d’une batteuse qui entraine une plainte contre eux auprès des services allemands, qui mènent alors une enquête.
Deux jeunes miliciens sont envoyés dans la région, se faisant passer pour des réfractaires au STO.
Le 24 aout 1943, ils rentrent en contact avec le groupe de maquisards, par l’intermédiaire de deux paysans qui participent au ravitaillement.
Ces deux jeunes hommes annoncent qu’ils vont revenir avec des armes.
Le 7 septembre, à l’aube, ils sont bien de retour, mais avec une centaine de membres de la Gestapo et de soldats de la Wehrmacht. Ils arrêtent chez eux Vincent André et Julien Henry, les deux paysans accusés de porter assistance au camp.
Ils encerclent ensuite la sape qui sert d’abri aux jeunes dont seulement treize sont présents.
Se voyant pris au piège, certains tentent de s’échapper, mais ils sont immédiatement fauchés par le feu des mitraillettes.
Sept d’entre eux vont tomber : Gabriel Brunet, 23 ans, Georges Cavarnier, 23 ans, John Allan Colomb, 21 ans, Robert Janvier, 18 ans, Jean-Pierre Maitre Allain, 21 ans, Jacques Nouhaud, 19 ans et Bernard Verbeke, 22 ans. Leurs corps seront rassemblés sur le toit du refuge avant que les allemands ne le fassent sauter.
Six autres jeunes maquisards sont arrêtés, transportés à Limoges, interrogés, puis déportés dans les camps de la mort ainsi que les deux paysans arrêtés. Cinq d’entre eux ne reviendront jamais de déportation : Emile Aureix, 24 ans ; Henri Julien, 38 ans ; Henri Pollet ; Robert Van Den Eden, 21 ans ; et André Vincent, 35 ans.
Trois seulement survivront : Marcel Dubreuil, Marcel Guisard, Roger Riche.
Trois jeunes, en permission ce jour-là, échappent au massacre: François Petit, Jean Saint Marcou et Georges Vergnaud.

Lorsque nous évoquons ces noms, 12 noms parmi tant d’autres en Creuse qui donnèrent leur vie pour défendre leur idéal, des mots nous viennent indiscutablement à l’esprit : jeunesse, courage, résistance, clandestinité, prise de risques, sacrifice, liberté, fraternité.
En négatif, d’autres mots leur font écho : lâcheté, collaboration, milice, délation, dénonciation, camps de concentration, extermination.
Des mots qui traduisent la noirceur de ce que peut être l’humain, des mots qui doivent nous conduire à la vigilance, car aujourd’hui comme hier, dans certaines circonstances, il se trouve toujours des esprits malveillants pour considérer qu’une partie de l’humanité est responsable des maux de la société. Théories qui malheureusement ne demandent qu’à germer dans une société en difficulté.
Ces jeunes résistants ont eu le courage de dire « non » à ce qui leur était imposé, à ce qui leur semblait inacceptable, et qui parmi nous ne s’est pas posé cette question : « à leur place, qu’aurai-je fais ? », « aurai-je eu ce courage de risquer ma vie pour défendre mes idées ? pour défendre la République ? »
Nous leur sommes redevables de notre liberté, de notre fierté républicaine, et c’est pourquoi nous avons le devoir de commémorer leur sacrifice et renouveler notre hommage à leur engagement et à leur courage.
Vous, dont les noms figurent sur ces plaques, et dont les visages juvéniles sont à jamais gravés sur le marbre, nous saluons avec respect et reconnaissance votre sacrifice, nous vous faisons la promesse de ne pas vous oublier et de faire vivre dans le souvenir de la République, la mémoire de ceux qui, comme vous, sont morts pour elle.
Dans ce devoir de mémoire je n’oublie pas non plus quelle fut la douleur des familles lorsqu’elles apprirent la mort de leur enfant, de leur frère, de leur mari ou de leur fiancé.
J’entends les larmes, les cris de douleur et de rage. En effet, je ne peux penser à cette tragédie sans avoir la gorge serrée par l’émotion qu’elle suscite en moi, l’émotion d’une mère qui se voit dans la situation de celle à qui l’on annonce la mort d’un être cher.
La tragédie est autant, sinon plus, pour celui qui reste que pour celui qui part.

Pour terminer, je vous lis ces quelques vers que m’ont inspirés les circonstances, ils sont dédiés à ces héros du bois du Thouraud :
Ils étaient jeunes et souriants,
Ils avaient tout juste vingt ans,
Et pourtant, ils étaient résistants,
Menant le combat contre l’occupant.
Epris de liberté,
Dans la clandestinité,
Ils se sont engagés.
Loin d’être insouciants,
Mais sûrement pas assez méfiants,
Dans leur combat contre l’assaillant;
Pour défendre leur liberté,
Leur vie, ils ont donnée.
Au bois du Thouraud,
Leurs familles effondrées,
Longtemps ont pleuré.
Les Creusois, chaque année, ici rassemblés
Commémorent le deuil
Des 12 jeunes de « la tribu des écureuils ».

Renée NICOUX
7 septembre 2012

(Photos : L’Echo)