Débat au Sénat sur les nouveaux défis du monde rural

Le 19 février, le Sénat a organisé un débat en séance publique sur « les nouveaux défis du monde rural ». A cette occasion, je suis intervenue dans l’hémicycle au nom du groupe socialiste. J’ai ainsi pu présenter à l’ensemble des sénateurs les grands enseignements du rapport que j’ai commis il y a quelques semaines sur « l’avenir des campagnes ». (Pour plus de détails sur mon rapport, je vous invite à cliquer sur le présent lien).

Notre territoire étant directement concerné par ce sujet crucial, je souhaite porter ici à votre connaissance la teneur de mon intervention. (version texte et vidéo)


Débat sur les nouveaux défis du monde rural par reneenicoux

COMPTE-RENDU DU 19 FEVRIER 2013

DÉBAT SUR LES NOUVEAUX DÉFIS DU MONDE RURAL

Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour que le monde rural soit mis à l’honneur aujourd’hui devant notre assemblée et que nous prenions le temps de débattre de son avenir. La question qui nous occupe est aussi vaste que complexe, aussi cruciale que d’actualité.

Il y a quelques semaines, mon collègue Gérard Bailly et moi-même avons présenté un rapport d’information sur l’avenir des campagnes pour la délégation sénatoriale à la prospective. Pour autant, aujourd’hui, nous en avons lui et moi une interprétation quelque peu différente. 

Pour envisager cet avenir, il a fallu dresser un état des lieux. Il est alarmant. Ce constat nous a permis d’établir un scénario d’évolution de nos territoires ruraux inacceptable, qui conduirait, si rien n’était fait pour l’inverser, à sacrifier purement et simplement nos campagnes.

Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle est paradoxale. En effet, alors même que le dynamisme démographique des territoires ruraux est avéré depuis près de trente ans avec un nouvel exode urbain, que les Français aspirent de plus en plus à s’y installer, que les innovations techniques, sociales et économiques y sont de plus en plus intéressantes, alors même que beaucoup ont enfin pris conscience que les territoires ruraux sont avant tout une chance pour la France et non une charge, le risque de les voir définitivement transformés en espace de relégation n’a jamais été aussi fort.

Nous sommes aujourd’hui à un tournant majeur pour ces territoires. Le contexte économique, politique et social actuel augure des changements sociétaux profonds qui, dans les prochaines années, auront un impact sur nos modes de vie. Si les territoires ruraux ne prennent pas leur place, pleine et entière, dans des réformes qui seront inévitablement menées, ils seront condamnés. Or les défis sont nombreux.

Mes collègues qui viennent d’intervenir l’ont souligné, même si je ne partage pas tout à fait leur analyse, l’agriculture traverse une crise, certes inégale selon les secteurs, mais importante et durable. Le détricotage de la PAC, la concentration des exploitations, la régression des surfaces agricoles, le problème de renouvellement des générations sont autant de facteurs qui mettent à mal notre modèle agricole et impactent la vie et le paysage de nos territoires ruraux. Même s’il ne faut pas que la ruralité soit réduite à la seule place de l’agriculture dans le monde rural, personne ne peut nier que ce secteur d’activité est important et joue un rôle primordial dans notre société par la production d’alimentation et par la façon dont est façonné notre environnement.

L’artificialisation des sols se poursuit. Entre 2003 et 2009, elle a affecté l’équivalent d’un département, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’aménagement du territoire, la qualité des paysages et le maintien des activités agricoles.

La crise énergétique a des conséquences profondes sur les populations rurales. Le mitage urbain génère des coûts supplémentaires en termes de transport et d’énergie. L’éloignement croissant entre le lieu de travail et le lieu de vie est de plus en plus contraignant financièrement. En effet, si un Français sur quatre réside dans une commune rurale, seul un Français sur huit y travaille.

La sociologie des populations rurales peine à se diversifier et s’accompagne d’un vieillissement global et d’un phénomène inquiétant d’immigration de la pauvreté urbaine vers les campagnes.

Les services publics de proximité se raréfient, conséquence inévitable de la révision générale des politiques publiques qui oblige à des efforts de mutualisation souvent difficiles. Or, sans services publics, il n’y a ni attractivité ni maintien des populations.

De la même manière, l’offre de santé se rétracte dans les territoires les plus fragiles. Le groupe de travail sénatorial sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire qu’a présidé notre collègue Jean-Luc Fichet y revient longuement dans son rapport.

En somme, et j’espère que vous excuserez la noirceur du tableau que je suis en train de dresser, monsieur le ministre, mes chers collègues, les inégalités territoriales s’accroissent et nous risquons d’arriver, tôt ou tard, à un point de non-retour.

Pour autant, il n’est bien évidemment pas trop tard. Sinon, nous ne serions pas là aujourd’hui pour débattre.

La situation est paradoxale, car, malgré ces constats alarmants, une réelle prise de conscience du potentiel de nos « campagnes » a eu lieu ces dernières années. Des projets, souvent innovants, fleurissent, portés par des acteurs dynamiques et créatifs. Des complémentarités se développent entre les territoires. De jeunes générations viennent s’installer avec de véritables projets de vie. Des filières agricoles, qualitatives et durables, se développent également, souvent portées là aussi par des jeunes. Tous les ingrédients d’un développement harmonieux de nos territoires existent. Les graines sont en terre et c’est à nous, décideurs politiques et législateurs, de les aider à pousser. Nous œuvrons déjà en ce sens dans nos collectivités et il est désormais temps de le faire au niveau national, dans un cadre législatif et réglementaire rénové.

Dans le rapport que nous avons présenté sur l’avenir des campagnes, nous identifions quatre leviers de croissance majeurs, indispensables à la mise en place d’une véritable politique structurelle de développement à long terme de toutes nos campagnes, dans leur diversité.

Le premier levier concerne la gouvernance de nos territoires, et donc la question cruciale de l’organisation et du pilotage des politiques publiques. La réforme proposée se préoccupe de la proximité, nécessaire pour une meilleure prise en compte de la ruralité. Il ne s’agit pas, comme je l’ai entendu tout à l’heure, d’éloigner la décision des territoires. Il est aujourd’hui indispensable de renouer avec une véritable politique d’aménagement du territoire, passant nécessairement par une simplification des normes, lesquelles ne sont pas récentes, monsieur Larcher, mais dont l’extrême profusion pénalise lourdement, non seulement les entreprises, mais aussi les communes rurales, dépourvues de moyens pour les mettre en œuvre. De même, une véritable politique nationale d’aide en ingénierie territoriale est plus que jamais nécessaire pour apporter un appui technique aux élus locaux. Par ailleurs, il est indispensable de mener des politiques différenciées en fonction des réalités locales. En tant qu’élue d’un territoire dit de montagne, j’insiste sur ce point : les spécificités géographiques ou démographiques doivent être prises en compte. Une application indifférenciée de la loi sur l’ensemble du territoire, qui ne prendrait en compte ni les coûts ni les temps de transport, renforcerait les inégalités. Finalement, et c’est peut-être ici le point le plus important, il faut renforcer des politiques de redistribution et de solidarité nationale, pour éviter que ne se forment des poches de pauvreté dans les territoires. Une meilleure répartition des financements est essentielle, tout comme la mise en place effective d’une véritable péréquation entre les territoires.

Le deuxième levier identifié est l’accès aux services et équipements publics.

Le troisième levier a trait à la mobilité. Le désenclavement de nos campagnes est indispensable pour leur développement. Un accès satisfaisant aux réseaux physiques, que ce soit pour les entreprises et les populations, est indispensable. Il faut donc sanctuariser les financements nécessaires pour l’entretien et le développement des dessertes routières et ferroviaires.

Le quatrième levier concerne l’accès au très haut débit. C’est une condition sine qua non de l’attractivité de nos territoires. C’est une nécessité à la fois pour maintenir ou attirer des entreprises en zone rurale, et répondre à une attente très forte de la population. De plus, à l’heure où nous voulons développer le télétravail, la télémédecine, la téléformation ou l’e-commerce, il serait incompréhensible d’exclure ceux qui, par définition, du fait de leur isolement géographique, seraient les plus susceptibles d’y avoir recours.

Chacun le sait, et je termine par ce point, les défis qui attendent les campagnes sont nombreux et de taille. L’un des principaux est celui des moyens, alors que les campagnes disposent de nombreuses ressources, des aménités positives qui doivent être valorisées à la hauteur des services rendus à l’ensemble du pays au travers, par exemple, d’une taxe spécifique comme la taxe carbone. Je suis certaine que le dynamisme et le volontarisme qui s’expriment chaque jour, dans nos territoires, permettront de relever ces défis, à condition de bénéficier d’un accompagnement adapté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)