Débat sur l’avenir de la Politique Agricole Commune

Dans le cadre d’un débat organisé au Sénat sur l’avenir de la Politique Agricole Commune (PAC), je suis intervenue dans l’hémicycle le 11 janvier dernier.

Ce débat fait suite à la publication, le 18 novembre 2010, d’un rapport de la Commission européenne sur la réforme prochaine de la PAC en 2013.

Cette réforme est cruciale pour l’Union européenne. Elle va devoir apporter des réponses aux milliers d’agriculteurs qui traversent une crise très grave.

De plus, l’agriculture doit aujourd’hui faire face à de multiples défis : alimentaires, sanitaires, sociaux, économiques, territoriaux et environnementaux.

De ce fait, le visage que prendra la PAC en 2013 reflètera l’Europe de demain. A ce titre, nous devons faire preuve de la plus grande vigilance.

Je vous invite à prendre connaissance de mon intervention, ci-dessous.

Intervention lors du débat sur l’avenir de la politique agricole commune

Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, eu égard aux nouveaux défis à relever, la politique agricole commune doit prendre un nouveau virage. Elle est au carrefour d’enjeux multiples, à la fois économiques, alimentaires, sanitaires, environnementaux, sociaux et territoriaux.

La réforme annoncée de 2013 sera décisive pour l’avenir de l’Europe. Elle permettra d’apporter une première réponse à une question récurrente que se posent les instances européennes quant à la capacité des Européens à unir leurs forces pour aller plus loin dans la construction communautaire, en vue d’affronter la mondialisation croissante, la libéralisation des échanges et les crises économiques qui se succèdent.

L’agriculture européenne traverse une crise. Nous en avons tous vu les effets ces dernières années. Elle se heurte à une concurrence de plus en plus vive, souvent déloyale, et caractérisée par une instabilité chronique du marché, rendant toute projection dans l’avenir impossible pour les agriculteurs. L’Union européenne, en tant qu’organisation politique, a donc un rôle crucial à jouer dans la gestion et la sortie de cette crise.

La réflexion sur la réforme de la PAC en 2013 a donné lieu à de nombreuses prises de positions du Parlement européen, des États membres et, le 18 novembre dernier, de la Commission européenne. Ce même mois, un groupe de travail sénatorial a publié un rapport sur ce thème. Nous avons eu l’occasion de rencontrer nos homologues européens et d’échanger nos points de vue sur ce que devra être l’agriculture européenne de demain. Sans surprise, de nombreuses divergences politiques sont apparues, et il sera très difficile de trouver un consensus entre les partisans du libre marché et ceux de la régulation.

La PAC fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques, de la part tant des agriculteurs eux-mêmes que des citoyens européens, qui ne perçoivent clairement ni son fonctionnement ni ses bienfaits. Il est donc évident qu’une réforme efficiente de la PAC devra s’accompagner de la réhabilitation de son image. Il faudra, pour cela, la rendre plus efficace et lisible.

L’objectif prioritaire d’une telle réforme devra être d’offrir un avenir aux agriculteurs, dont la situation est des plus critiques, notamment en France. En effet, le revenu des agriculteurs a chuté brutalement en 2008 et en 2009, après plus d’une dizaine d’années de stagnation. Pourtant, voilà un mois, on nous a annoncé que ce revenu avait connu une hausse de 66 % en 2010, pour s’établir en moyenne à 24 400 euros ! Certains se félicitaient déjà d’une sortie de crise. Quelle supercherie !
Tout d’abord, cette hausse n’est qu’un petit rattrapage après la crise épouvantable de ces dernières années. Mais surtout, ces chiffres sont en trompe-l’œil, car ils sont fondés en grande partie sur l’envolée du prix des céréales, qui, dans le même temps, a fait baisser les revenus de certaines catégories d’agriculteurs. Chacun sait que la crise a touché inégalement les filières et que certaines d’entre elles sont aujourd’hui au bord du précipice, quand elles ne sont pas déjà tombées dedans.
Ainsi, dans la filière des bovins à viande, le prix de vente au kilo vif est identique à ce qu’il était voilà plus de dix ans. Comment ces éleveurs peuvent-ils s’en sortir quand on sait que le prix des aliments et des carburants n’a, dans le même temps, cessé d’augmenter ? Certains en sont réduits à demander le RSA, tandis que d’autres sont contraints de mettre la clé sous la porte. C’est ainsi que le nombre d’exploitations et d’exploitants en activité s’est effondré, parallèlement à l’agrandissement des structures, avec tous les effets néfastes que cela entraîne.

La prochaine PAC devra donc intrinsèquement avoir pour finalité de donner aux agriculteurs les moyens de vivre de leur profession, voire de leur assurer un revenu minimum, mais aussi de fixer des plafonds d’aide. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable que les aides européennes soient réparties de façon plus égalitaire entre toutes les filières, et donc entre tous les agriculteurs. Il est en effet anormal que 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % du montant des aides, et ce, pour les céréaliers, quel que soit le cours du blé, ou, pour d’autres, quelles que soient les surfaces cultivées. L’iniquité dans la répartition des paiements directs entre les États membres est l’un des aspects les plus critiqués du système actuel, qui devra être corrigé.
Un consensus semble se dégager sur l’abandon des références historiques, et nous pouvons nous en féliciter, bien que notre pays soit l’un des rares à ne pas avoir passé le cap, malgré le caractère injuste de ce dispositif. Il faut surtout que les aides soient attribuées aux agriculteurs actifs et liées à la production réelle, comme l’avait souligné la Cour des comptes européenne. Par ailleurs, les efforts environnementaux doivent être pris en compte, de même que les handicaps naturels auxquels les exploitants sont exposés, en particulier dans les zones de montagne.

Au-delà de cette mission centrale, la PAC doit bien évidemment remplir son rôle premier, à savoir préserver le potentiel de production alimentaire de l’Union européenne afin d’assurer l’autonomie et la sécurité alimentaires de ses habitants. Une Europe forte ne peut être dépendante de ses importations alimentaires.
Dans ce contexte, il est évident que l’Union européenne doit se doter d’une véritable régulation de ses marchés, prenant en compte aléas climatiques et volatilité des prix !

Il est un aspect de la PAC qui ne doit pas être laissé de côté : le rôle joué par l’agriculture en termes de biens publics. Il est indispensable que les efforts accomplis de tout temps par les agriculteurs pour préserver les aménités soient rémunérés, qu’il s’agisse de l’entretien des terres et des paysages, du maintien de la biodiversité ou d’autres actions agro-environnementales.
Dans les zones de montagne, par exemple, l’agriculture constitue une activité économique essentielle, qui engendre des emplois directs et indirects. Elle permet de lutter contre la désertification et préserve la diversité des différents terroirs européens, grâce à l’ancrage des hommes dans les territoires.
La future PAC devra donc s’attacher à soutenir la production de ces biens publics, en favorisant le maintien ou la création de petites exploitations.
L’instauration d’un régime de soutien, simple et spécifique, applicable aux petites exploitations, sur le modèle de celui qui a été présenté par la Commission européenne, pourrait constituer un début de réponse. Encore faudra-t-il que ce régime prenne en compte la spécificité des territoires et les contraintes qui peuvent peser sur les exploitants !
En somme, la PAC a un véritable rôle à jouer en termes de cohésion sociale et territoriale dans nos régions. Si les moyens et la volonté sont suffisants, elle peut contribuer à atténuer les déséquilibres territoriaux et à améliorer la vitalité et le potentiel économique des zones rurales.

La question de l’environnement devra, de toute évidence, être au cœur de la future PAC, mais avec un traitement équitable et uniforme sur l’ensemble du territoire européen. Il ne peut pas y avoir de traitement différencié, et donc de concurrence, dans ce domaine, entre les États membres.
En effet, l’avenir de l’activité agricole est intimement lié à la préservation des ressources naturelles et aux efforts environnementaux des agriculteurs, qui ont, eux aussi, à y gagner, en termes tant de capacité productive de leurs terres que de qualité de leurs productions.
Intégrer une composante écologique obligatoire dans les paiements directs, comme l’a préconisé la Commission, semble une idée intéressante.

M. Jean-Louis Carrère. Très bien !

Mme Renée Nicoux. Quant à l’éco-conditionnalité, il nous semble également intéressant de la maintenir, pourvu qu’elle revête un caractère de valorisation du travail, et non plus seulement de sanction, comme c’est trop souvent le cas actuellement.
Pour être efficace, ce « verdissement » du premier pilier devra intervenir dans un cadre contractuel et territorialisé, ce qui ne semble malheureusement pas être l’orientation choisie par la Commission.
Il est évident que le respect des normes environnementales, justifiant des prix plus élevés, permettra à nos agriculteurs de valoriser leurs productions. En effet, il est faux de dire que seule la compétitivité en termes de prix permettra à l’agriculture européenne de survivre.

La compétitivité doit être appréciée à l’aune d’autres critères, notamment qualitatifs, sociaux et environnementaux, les consommateurs s’attachant de plus en plus à la qualité des produits plutôt qu’à leur prix. Cela n’est vrai que dans une certaine mesure, bien évidemment, mais la réussite actuelle, même en temps de crise, de la filière de l’agriculture biologique est une illustration de ce fait.
Cette recherche de qualité devra aller de pair avec une amélioration de la traçabilité et de l’étiquetage des produits.

En conclusion, les différentes propositions de la Commission européenne semblent aller dans le bon sens, avec une orientation de la PAC vers plus d’équité entre agriculteurs et entre États membres et des soutiens davantage ciblés sur l’environnement, le changement climatique, les petites exploitations, l’installation, ainsi que les marchés locaux ou régionaux.

Cependant, le démantèlement de la PAC auquel nous avons assisté ces dernières années nous amène à être plus que sceptiques quant à la mise en œuvre concrète des priorités affichées. En effet, la plus grande difficulté reste devant nous : trouver un accord entre les États membres pour parvenir à un règlement accepté par tous et dégager des moyens à la hauteur de l’ambition affichée, à l’heure de l’austérité budgétaire. Les bonnes volontés existent, mais l’Europe doit maintenant se donner les moyens de leur donner une portée concrète.

(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)