La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche votée au Sénat : une boite à outils à vocation libérale

Le 29 mai 2010, le Sénat a voté en première lecture le projet de loi de modernisation de l’agriculture. Déposé en procédure accéléré, le texte doit désormais être examiné par les députés. Face à la crise que traverse le monde agricole, nous en attendions beaucoup. Malheureusement, cette loi n’apporte aucune réponse aux agriculteurs et s’apparente plus à une boite à outils en vue de la réforme de la PAC en 2013.

Après deux semaines de débat au Sénat, le projet de loi de modernisation de l’agriculture a été voté d’une courte majorité (185 voix pour et 152 contre). L’UMP et l’Union centriste ont voté en faveur de ce texte alors que le Parti socialiste et l’ensemble des représentants de la gauche s’y sont fermement opposés.

Je me suis mobilisée tout au long de l’examen de ce texte pour faire entendre, avec le groupe socialiste, mes divergences. Je tiens donc à revenir ici sur les idées que nous avons défendues ainsi que sur les raisons pour lesquelles nous avons voté à l’encontre de ce projet.

Tout d’abord, suite à l’examen de ce texte, ma position est très claire : cette loi n’est qu’un effet d’annonce pour tenter de rassurer l’opinion française sur les bonnes intentions du Gouvernement en matière d’agriculture. Au-delà de la logique purement électoraliste de cette manœuvre, la majorité confectionne ici une boite à outils à vocation libérale en vue de la réforme de la PAC en 2013.

Le groupe socialiste s’est fortement mobilisé sur ce texte. Nous avons déposé de nombreux amendements pour défendre les intérêts des agriculteurs et promouvoir une autre agriculture. Malheureusement, sur 166 de nos propositions, seule une vingtaine a été retenue. Pourtant, le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, a répété à maintes reprises que ces propositions étaient légitimes et totalement louables tout en s’y opposant lors du vote…

Pourquoi nous opposer à la LMA ?

Le Gouvernement a fait de la compétitivité, des marchés, de la concurrence et des contrats de vente le cœur de son texte. Ce projet de loi poursuit le glissement très net engagé depuis quelques années vers une privatisation des outils d’encadrement de l’agriculture française au détriment de la prise en compte de la diversité de nos territoires et de nos agriculteurs locaux.

Je vais prendre ici l’exemple de la compétitivité, notion centrale de ce texte. Elle a été, une nouvelle fois, entendue comme une « compétitivité prix » qui tire les prix et par là-même les revenus vers le bas. Les notions de qualité, de respect de l’environnement, d’agriculture biologique ont totalement été occultées.

Il apparaît donc que le Gouvernement n’a pas tiré les leçons de la crise actuelle. Si nous poursuivons dans la voie du libéralisme, le nombre d’exploitations agricoles ainsi que les revenus de nos agriculteurs vont continuer de chuter inexorablement.

Cette loi n’apporte donc aucune réponse à la crise que traverse l’agriculture française !

La compétitivité ne doit pas se mesurer à l’aune de la concurrence et du profit mais sur la base de la qualité des aliments issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Nous ne voulons pas d’une uniformisation ni d’une industrialisation massive de l’agriculture.

Au contraire, il nous faut une agriculture forte, présente sur tout le territoire, basée sur la sécurité sanitaire, le respect de l’environnement, la qualité des aliments et surtout la nécessité d’assurer un revenu équitable à la population agricole française.

Les aliments ne sont pas des biens de consommation comme les autres. De ce fait, les exploitations qui les produisent doivent être considérées différemment.

Je déplore donc que ce texte n’aborde pas ces aspects et plus particulièrement celui de la rémunération des agriculteurs. Nous ne pouvons plus tolérer, aujourd’hui, que certains d’entre eux vendent leur production à perte ! A ce sujet, le groupe socialiste a proposé d’instaurer un prix plancher permettant d’assurer aux agriculteurs une rémunération couvrant au minimum le prix de production. Pourtant, le Gouvernement a rejeté cette proposition qui relève du bon sens.

Comment repenser notre modèle agricole ?

Le gouvernement a une fois de plus, avec ce texte, démontré que sa politique s’inscrivait dans une logique purement libérale, ne prenant en compte ni les hommes ni les territoires.

Nous avons fait de nombreuses propositions pour revaloriser les retraites agricoles, favoriser l’aide à l’installation, mettre en place un contrôle accru de la production et des structures agricoles, promouvoir une agriculture de qualité respectant l’environnement tout en favorisant les circuits courts… Mais le Gouvernement a systématiquement rejeté ces propositions !

Je pense qu’il est pourtant indispensable, aujourd’hui, de repenser notre agriculture. Nous ne pouvons nous résoudre à vouloir toujours plus de compétitivité basée uniquement sur les prix, sans tenir compte du rôle tenu par le monde agricole, tant au niveau de l’aménagement rural que du tissu social ou de la préservation de notre environnement.

L’objectif de toute politique agricole devrait être d’assurer un revenu équitable à la population agricole.

Lors d’une intervention dans l’hémicycle le 20 mai dernier, j’ai appelé à ce que nous nous dirigions vers une agriculture équitable, à l’instar de ce qui se fait en matière de tourisme ou de commerce équitable, avec :

* un prix couvrant au moins les coûts de production, rémunération du travail comprise

* un revenu à la hauteur des efforts de qualité et de respect de l’environnement réalisés par les agriculteurs
* un rééquilibrage des relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs afin qu’elles se fassent désormais sur un pied d’égalité et non plus dans un rapport de force dominant/dominé
* une répartition équilibrée de la valeur ajoutée dans la chaîne de commercialisation alimentaire

C’est seulement ainsi que nous « moderniserons » notre agriculture et que nous offrirons au monde agricole des perspectives d’avenir.

Mais avec ce texte, nous restons dans une impasse !

Cette loi de modernisation de l’agriculture n’est pas du tout à la hauteur des enjeux et n’apporte rien aux agriculteurs qui souffrent !

Le Gouvernement a fait le choix de l’ultra libéralisme à l’heure où il faudrait remettre les hommes et les territoires au cœur de toute politique.

La raison en est simple. Nous sommes ici face à deux approches différentes de la politique et de la société en général : celle qui fait des marchés et de la compétitivité le moteur d’une économie et celle qui pense que ce sont les hommes qui doivent jouer ce rôle.