Intervention au Sénat sur la contractualisation dans le secteur de l’élevage

Compte-rendu intégral de la séance du 24 mai : Débat sur la contractualisation dans le secteur agricole

Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour ma part à aborder la situation du secteur de la viande, qui traverse une crise sans précédent depuis de nombreuses années sans percevoir le moindre signe d’amélioration. Éleveurs porcins, ovins, bovins : c’est toute une profession qui est actuellement en plein désarroi.

Crise du revenu depuis quatre ans, augmentation du prix de l’alimentation pour le bétail, envolée brutale des cours des céréales l’été dernier, blocage des abattoirs à la fin de l’année dernière, tout démontre que le secteur va mal et que le système actuel est en train de péricliter.

La hausse continue des coûts de production, conjuguée à la stagnation des prix de vente et à la concurrence internationale des pays émergents, met fortement en péril la pérennité du secteur de l’élevage français. Privés de perspectives d’avenir, de nombreux éleveurs sont amenés à abandonner la profession, tandis que les jeunes s’en détournent.

Certains n’hésitent plus à dire que la filière de l’élevage est en train de mourir ; et ce constat amer, je ne peux que le partager. Si rien ne se passe à très brève échéance, nous serons témoins de nombreux drames.

La priorité absolue est, bien évidemment, d’assurer un revenu décent aux éleveurs. C’est en vertu de cet objectif que la contractualisation a été proposée comme solution dans le cadre de la LMAP.

De ce point de vue, que pourrait apporter la contractualisation au secteur de l’élevage ? Et surtout, comment tirer les leçons des premiers écueils qu’a connus l’instauration d’une contractualisation obligatoire dans les autres secteurs ?

Monsieur le ministre, vous avez annoncé la publication du décret sur la contractualisation obligatoire pour l’élevage en juillet prochain. Est-ce à dire qu’un seul décret sera pris pour l’ensemble des filières ?

Il faut absolument veiller à ne pas fondre dans un même moule des élevages et des productions très différentes, ni à se limiter, comme pour le lait ou les fruits et légumes, à la seule relation commerciale entre l’agriculteur et son premier acheteur.

Dans le secteur de l’élevage, encore plus que dans les autres, il convient d’aborder les choses plus en amont, d’encadrer tous les types de relations commerciales ayant une influence sur le secteur, tant entre fabricants d’aliments pour animaux et éleveurs qu’entre éleveurs, transformateurs et distributeurs. Il est nécessaire d’apporter à chaque maillon de la filière des outils de gestion des prix.

Comme pour tout autre secteur, il convient d’élaborer une négociation collective, passant par un renforcement des interprofessions, et des indicateurs de prix, pour rééquilibrer le pouvoir de négociation de chaque acteur, ce qui n’a été le cas ni pour le lait ni pour les fruits et légumes.

Des outils permettant de lutter contre la volatilité extrême des cours des céréales, ou tout du moins de la gérer au mieux, doivent être mis en place. Il importe en effet d’avoir à l’esprit que les coûts alimentaires représentent 60 % à 70 % du coût de revient des élevages monogastriques – porcs et volailles. C’est donc une problématique centrale pour les éleveurs.

L’accord volontaire « d’engagement de prise en compte des variations excessives des prix de l’alimentation animale dans les négociations commerciales », signé le 3 mai dernier, est censé apporter des réponses à cette situation de crise. Ce document a le mérite de démontrer la nécessité de l’intervention de l’État pour réguler le système, apporter des garanties aux agriculteurs et rééquilibrer les relations commerciales.

Cependant, il soulève un certain nombre d’interrogations. Tout d’abord, la mise en place de cet accord semble une bien maigre solution face à l’ampleur de la crise traversée par les agriculteurs. Ensuite, nous ignorons tout des bases sur lesquelles se feront les négociations. Enfin, si ces négociations venaient à aboutir, nous craignons que leurs résultats ne soient synonymes d’une revalorisation en bout de chaîne, et donc d’une augmentation du prix de la viande pour le consommateur. Si tel est le cas, un problème en remplacera un autre !

Une logique de marge doit primer sur une logique de prix, et le partage de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de production faire l’objet d’une extrême vigilance.

De ce point de vue, nous attendions beaucoup du premier rapport de l’Observatoire des prix et des marges. Or ses conclusions ont suscité de nombreuses polémiques, révélant qu’aucun maillon de la filière ne s’enrichissait vraiment et que les marges restaient faibles. L’augmentation des prix en grande distribution depuis une dizaine d’années serait liée à des charges nouvelles chez les transformateurs, notamment des charges d’ordre sanitaire. Les producteurs, qui, eux aussi, ont dû faire face à des normes plus contraignantes, ont été les seuls à ne pas avoir pu répercuter leurs coûts de production sur les prix.

Tout cela reflète bien le rapport de forces totalement déséquilibré dans les relations commerciales, et ce au détriment des éleveurs.

Les conclusions de l’Observatoire des prix et des marges sont d’autant moins satisfaisantes que de nombreuses études, émanant notamment de l’UFC-Que Choisir, montrent une augmentation des prix à la consommation de la viande sur la période 2000-2010 pouvant aller de 40 % à 50 %. À titre d’exemple, le kilo de bœuf coûte en moyenne 3,07 euros à la production et 11,61 euros à la consommation.

Il revient donc à l’Observatoire des prix et des marges de faire un énorme travail de recherche complémentaire pour collecter des données objectives, car il est difficilement imaginable que personne ne s’enrichisse dans cette chaîne de production alors que les prix à la consommation augmentent.

Et la situation déjà difficile des éleveurs ne risque pas de s’améliorer avec la sécheresse actuelle, qui entraîne des problèmes d’approvisionnement en fourrage ! Il est d’ailleurs clair que la sécheresse, sur laquelle je conclurai mon intervention, va avoir des répercussions dramatiques, en particulier pour les éleveurs, mais aussi pour le monde agricole en général.

Face à des aléas climatiques récurrents, il apparaît nécessaire de mettre en place de nouveaux systèmes de solidarité entre les filières, de manière à éviter les pénuries. Pourraient ainsi être envisagés des contrats interfilières assurant une gestion de l’offre et de la demande en paille et fourrages et s’appuyant sur une plateforme d’échanges entre bassins allaitants et bassins céréaliers.

Monsieur le ministre, dans la mesure où vous êtes vous-même favorable au développement de relations contractuelles entre les filières céréalières et d’élevage, pourriez-vous nous préciser vos propositions en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)